lundi 6 octobre 2014

Images Fortuites -présentation-



                                        



Etonnants photogrammes que les images de Fabrice Laillier, issus d'erreurs, de rebuts de machines de tirages, et pourtant bien de la photo-graphie, une écriture de la lumière sur une surface sensible; Ces images pourraient ne rester que d'étranges traces abstraites mais elles interrogent bien au delà de l'apparence, au rapport à la photographie, à la sensation lumineuse,  à l'histoire de l'art, au déchets, à la valeur de l'image, à l'accident duquel peut naitre une oeuvre.

Le potentiel créatif du hasard:
L'exposition se divise donc en deux parties distinctes, la première est issue de l'erreur et du hasard, cette accidentologie dans l'oeuvre existe, depuis Duchamp, et bien d'autres artistes  des avants gardes,  dadaïstes et les surréalistes en tête, ont exploité et systématisé l'erreur.
 Ses papiers aux couleurs inhabituelles sont les résultats uniques et aléatoires de disfonctionnements de la machine, de solarisations imprévues, de traces de chimie, de déchirures fortuites. Ces aberrations sont précautionneusement récoltées par l'artiste et classifiées comme de précieux objets dans un cabinet de curiosité, car il y a , dans ces surprises, ces rebus, quelque chose de l'expression du vivant. Fabrice Laillier a toujours été fasciné par la technique et trouve dans ces erreurs une expression de la machine, c'est une collaboration étrange, presque un dialogue qui se crée entre la mécanique complexe et froide, faite pour un rendement infaillible, et l'homme imparfait, fruit d'une toute autre mécanique, qui en récupère les résidus malades ,  "il n'y a pas de beauté sans fêlure" comme disait Bataille, et c'est dans cette faille que Fabrice Laillier crée sa collection.

On ne peut considérer que la machine crée délibérément de l'art naturellement, mais ces images pourtant nous parlent, elles nous font référence à l' histoire de l'art, rappelant tantôt de l'expressionnisme abstrait, de Rothko, tantôt la démarche des affichistes néoréalistes, les rayogrammes, ou le processus de déconstruction du mouvement support-surface, ces images sont des monstres, des aberrations de la machine dans lesquels l'artiste voit de précieux accidents esthétiques.

Désacralisation de la photographie:
Depuis longtemps l'artiste s'interroge sur l'objet abandonné, comme résidu d'une civilisation, et sa réflexion s'applique ici au rebut dans la photographie, sans doute inspiré par les thèses sur l'oeuvre d'art à l'époque de la reproductibilité technique de Walter Benjamin, il y voit une revendication artistique et politique, dans ces masses de papiers perdus, c'est dans l'erreur qu'il retrouve l'aura de l'image: travaillant longtemps dans un bureau d'étude sur les machines de tirages photographique comme technicien, il a vu passer des quantités industrielles de photographies, des images sans valeur, les images de tout le monde, la photographie du commun, les instants de vie qui passent sans laisser de traces dans ces machines, des millions d'histoires qui s'effacent, digérées, imprimées et rejetées dans le monde par une machine amnésique... mais parfois, un grain de sable crée une perle, et c'est de cette erreur que l'images accidentelle née, c'est ce hoquet à la mécanique parfaite du temps, de la machine, que FabriceLaillier collectionne, cette réaction d'indigestion.              
 
Les rebuts constituent donc un matériau qu’il  semble nécessaire d’exploiter, ne serrai-ce que pour questionner les jugements, les valeurs esthétiques d’une époque.

Dans la deuxième partie de l'exposition, l'artiste intervient et provoque l'accident dans la machine, et crée, d'une image de paysage (le bateau bleu) une photographie cubiste ou plutot du pixel art photographique, des formes géométriques aux couleurs dégradées, subtiles comme des aquarelles artificielles. Reproduite ensuite en grand nombre, l'accident devient procédé, et l'image qui varie à peine, malgré son statu unique, semble perdre sa valeur et sa poésie. dans cette multitude abstraite, seul le spectateur attentif trouvera de subtils décalages, mais l'impression d'ensemble a déjà perdu l'aura de l'image...

Fabrice montre de la photographie sans appareil, il accompagne la machine et la lumière et crée des ensembles qui racontent la beauté du hasard.

M.A. 


© Fabrice Laillier